Aujourd'hui, on se retrouve pour une première chronique qui va porter sur un livre que j'ai lu l'été dernier:
Les Faux-Monnayeurs, écrit par André Gide. J'ai dû le lire avant mon année de terminale littéraire. C'était donc plus une obligation et dans un cadre scolaire. Si je décide d'en parler, c'est parce que je sais que
de nombreux lycéens vont encore avoir la tâche de le lire, et que je souhaite les
rassurer. Car ce n'est pas une lecture si terrible, au final, et voir même
enrichissante.
"Il me semble parfois que je n'existe pas vraiment, mais simplement que j'imagine que je suis. Ce à quoi je parviens le plus difficilement à croire c'est à ma propre réalité. Je m'échappe sans cesse et ne comprends pas bien, lorsque je me regarde agir, que celui que je vois agir soit le même que celui qui regarde, et qui s'étonne, et doute qu'il puisse être acteur et contemplateur à la fois."
Les Faux-Monnayeurs, le seul roman qu'André Gide a écrit dans sa vie, est très compliqué à résumer. C'est une intrigue foisonnante, un roman que l'auteur qualifie lui-même de "touffe". Dans le premier chapitre, nous faisons la rencontre de Bernard, un jeune homme de 16, 17 ans, qui, un jour où personne n'est chez lui, tombe sur des lettres et découvre qu'il est un bâtard: sa mère a en effet eu une aventure avec un autre homme et son père ne s'avère pas être celui qui l'a élevé. Il décide donc de fuguer, à quelques jours du baccalauréat. Nous allons suivre sa route et découvrir un bon nombre de personnages, tous différents des uns des autres.
Il est vrai qu'
il est très facile de se perdre, et ce dés le début de la lecture. En quelques chapitres, le lecteur est perdu, alors que le début d'un roman est censé produire un sentiment contraire. Les personnages semblent tous plus ou moins liés, il y a
une multiplication d'intrigues primaires ou secondaires. C'est assez rebutant. Pourtant, c'est l'objectif même de l'auteur: Gide ne veut
pas de lecteurs fainéants. Il aime que son lecteur se perde, il aime que son lecteur se questionne, il aime que son lecteur soit actif.
"Il se dit que les romanciers, par la description trop exacte de leurs personnages, gênent plutôt l'imagination qu'ils ne la servent et qu'ils devraient laisser chaque lecteur se représenter chacun de ceux-ci comme il lui plaît."
Pour revenir à la question des personnages, il y en a donc
une galerie impressionnante. Entre Olivier, le meilleur ami de Bernard, Edouard, écrivain raté et oncle d'Oliver, Vincent, le frère d'Olivier, Laura, amie d'Edouard et enceinte de Vincent, Passant, écrivain célèbre et ennemi d'Edouard, Liliane, amie de Passavant et qui a une aventure avec Vincent... Tous ces personnages permettent à André Gide d'explorer de
nombreux thèmes: la pédérastie, le milieu de la littérature, l'écriture, la fausse monnaie, le mensonge, le Diable et l'Ange, les apparences qui peuvent être trompeuses, l'argent, la religion, l'anarchisme, mais aussi l'adolescence.
Car
Les Faux-Monnayeurs, si il n'est pas un roman policier comme on pourrait le penser, et si il ne traite pas d'une enquête concernant un trafic de fausses pièces (André Gide aime tromper ses lecteurs, rappelez vous en), il reste un roman qui traite de l'apprentissage. C'est un
Bildungsroman, si vous voulez, comme disent nos amis les Allemands.
Les adolescents sont très nombreux et évoluent dans une société corrompue. Ils se laissent abuser par des gens qui ne sont pas toujours remplis de bonnes intentions. Le parfait exemple est le personnage d'Olivier, qui montre
plusieurs facettes tout au long du roman. Si, au départ, il est un jeune homme décrit comme timide, il devient rapidement violent, sous l'
influence négative de Robert de Passavant.
"Je crois que c'est le propre de l'amour, de ne pouvoir demeurer le même; d'être forcé de croître, sous peine de diminuer; et que c'est là ce qui le distingue de l'amitié."
Les Faux-Monnayeurs, c'est, pour ma part, un
classique de la littérature française qu'il FAUT avoir lu. Si, au départ, il ne semble pas être très attrayant, il se révèle être un roman très complexe et
magnifique par cette complexité. C'est en multipliant les personnages, intrigues, anachronismes et thèses, et grâce à la mise-en-abyme qu'André Gide a su se démarquer des autres auteurs de son époque.
C'est par cette complexité que ce roman me fascine, et je suis très contente d'avoir eu l'occasion de l'étudier au lycée. Il faut s'accrocher, mais
ça en vaut largement la peine. Je n'ai jamais lu de roman semblable auparavant. Peut-être qu'André Gide aurait pu encore plus réussir l'exercice, si il n'avait pas précipité la fin et développé certains éléments de son intrigue.
Enfin, un dernier conseil: c'est en lisant
Le Journal des Faux-Monnayeurs que vous comprendrez mieux les raisons de ses choix. Je vous conseille vraiment la lecture de ce journal; en effet,
riche en anecdotes, il nous permet de découvrir les procédés et choix d'écriture de Gide, ses interrogations concernant son intrigue et son développement. C'est un journal qu'il a publié dans ce but, à l'attention
des lecteurs qui veulent en apprendre plus sur le métier d'écrivain.
"Le livre, maintenant, semble parfois doué de vie propre ; on dirait une plante qui se développe, et le cerveau n’est plus que le vase plein de terreau qui l’alimente et la contient." JDFM